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Les nouveaux habits d’été (meurtrier ?) du fichier SALVAC
Le décret n° 2009-786 du 23 juin 2009 autorisant la mise en œuvre du fichier SALVAC « Système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes », publié à la veille des vacances d’été, opère la régularisation d’un fichier bien plus étendu que le STIC et dont certains contenus (ethniques et associatifs) rappellent étrangement ceux de l’EDVIGE première version.
La loi du 12 décembre 2005 sur la récidive des infractions pénales avait régularisé le fonctionnement des fichiers SALVAC de la police et ANACRIM de la gendarmerie [1], utilisés sans titre depuis des années, en leur donnant un fondement législatif.
Il s’agissait déjà d’un progrès car la CNIL avait longtemps demandé au Gouvernement à être saisie de la création de ces fichiers, qui paraissait relever de la simple application de la procédure d’avis sur les traitements de données ayant pour objet « la prévention, la recherche la constatation ou la poursuite des infractions pénales » (article 26 de la loi du 6 janvier 1978).
L’article 30 de la loi du 12 décembre 2005 a créé un régime dérogatoire à l’article 21 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure : un certain nombre de garanties applicables aux fichiers de police judiciaire ont été écartées par le législateur.
il suffit de raisons sérieuses, laissées à l’appréciation des enquêteurs, de soupçonner qu’une personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit grave pour figurer dans SALVAC ou ANACRIM (et non pas seulement d’indices graves ou concordants) ;
le traitement concerne non seulement les personnes mises en cause et les victimes, mais aussi les personnes à l’encontre desquelles il existe des raisons sérieuses de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction (simples suspects) et les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits et dont l’identité est citée dans une procédure concernant une infraction.
les informations enregistrées sont issues non seulement des procédures en cours, mais aussi des procédures anciennes, même éteintes par la prescription de l’action publique, et des procédures pour lesquelles l’auteur a fait l’objet d’une décision de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe, ou d’acquittement exclusivement fondée sur l’existence d’un trouble mental.
le ministère de l’intérieur considère que le droit d’information prévu au I de l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978, modifiée par la loi du 6 août 2004, et le droit d’opposition prévu à l’article 38 de la même loi ne s’appliquent pas au traitement considéré, en vertu des dispositions du VI de l’article 32 précité.
le procureur de la République peut prescrire le maintien d’informations relatives à une personne qui s’y serait opposée quand bien même l’auteur des faits aurait été condamné (ex. : la victime pourrait continuer à être identifiée dans ces deux fichiers malgré son opposition).
Dans sa délibération n° 2009-042 du 29 janvier 2009, la CNIL considère, "compte tenu du caractère exceptionnellement grave des infractions concernées, que la mise en œuvre du traitement SALVAC est légitime, dès lors qu’elle se limite à ce champ d’infractions restreint".
La grande question sont surtout celles du contenu du fichier et de sa durées de conservation.
La CNIL a constaté en effet que seront enregistrées dans le SALVAC des informations détaillées sur le signalement des victimes et des agresseurs ainsi que sur les caractéristiques de leur mode de vie, parmi lesquelles peuvent figurer des données sur les caractéristiques physiques des personnes et leurs types ethniques supposés, des données sur leurs pratiques sexuelles ou sur leur santé, ainsi que sur leurs éventuelles activités associatives, politiques ou religieuses.
Elle a pourtant estimé "que la mention de la couleur de la peau de la victime ou de l’agresseur peut être admise compte tenu de la finalité de recherche criminelle du traitement, en tant qu’elle constitue un signe physique, objectif et permanent pouvant contribuer au signalement et à l’identification de l’agresseur". Elle a pris auparavant la précaution de faire remplacer par le ministère de l’Intérieur l’intitulé des champs de saisie « type ethnique » par l’intitulé « type physique apparent ». Cela change tout, en effet.
L’article 6 du projet de décret prévoit que les données collectées pourront être conservées dans l’application SALVAC pendant quarante ans, à compter de la date de leur enregistrement. Cette durée est identique quel que soit le titre auquel une personne a été inscrite dans le fichier car le ministère estime qu’une durée de conservation unique est justifiée par la finalité particulière du traitement.
Sur ce point, la CNIL a appelé "de nouveau l’attention du ministère, compte tenu des difficultés qu’elle a constatées à plusieurs reprises s’agissant de la procédure de mise à jour et d’effacement des données du fichier STIC, sur la nécessité de mettre en place une procédure qui assure de façon effective et rapide la transmission de ces informations au gestionnaire du fichier SALVAC". Il apparaît en effet que les catégories de personnes susceptibles d’être inscrites dans le SALVAC sont plus étendues que celles du STIC.
Enfin, en bref, le niveau de sécurité et les personnels autorisés à consulter le fichier ne font l’objet d’aucun cadre juridique nouveau de nature à remédier aux dérives déjà constatées par ailleurs.
Nihil novi sub sole... Mais il se pourrait bien que les textes qui apparaissent depuis l’affaire EDVIGE traduisent un vaste mouvement de régularisation des fichiers policiers jusque là "sans-papiers", ou de légalisation de pratiques qui avaient autrefois justifié la fondation même de la CNIL pour les empêcher.
(Merci à Geneviève Koubi pour sa vigilance)
[1] Ces deux fichiers de police judiciaire permettent le recueil d’informations concernant tout crime ou délit grave portant atteinte aux personnes ou aux biens afin de faciliter l’identification et la poursuite des auteurs de tels crimes ou délits commis « en série ».
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