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De quoi rester FIJAIS : La version « TIC » du pilori
La version « TIC » du pilori : étendre à des dizaines de milliers d’autorités administratives territoriales la connaissance potentielle de l’appartenance d’une personne à un fichier infamant.
La loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n’est pas seulement célèbre pour avoir révélé le manque de courage du Conseil constitutionnel et la méconnaissance des devoirs d’un homme d’Etat par le Président de la République, elle contient aussi des dispositions qui, sans être contraires à la Constitution, traduisent une conception vexatoire des rapports sociaux qui n’est pas sans rappeler certaines théories pénales et pénitentiaires de la mise à l’encan développées aux USA depuis les années 1990.
Son article 15 étend en effet la communication des informations nominatives contenues dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS) à toutes les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation de personnes exerçant des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs, ainsi que pour le contrôle de l’exercice de ces activités ou professions. En d’autres termes, tous les agents publics et toutes les fonctions sont concernés et non plus seulement celles soumises seulement à « agrément » dans la version antérieure du texte.
Mais surtout le même article ajoute un alinéa nouveau précisant que :
« Les maires, les présidents de conseil général et les présidents de conseil régional sont également destinataires, par l’intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier, pour les décisions administratives (précédemment) mentionnées ».
Plusieurs dizaines de milliers d’autorités administratives pourront donc recevoir ce qui n’est rien d’autre qu’un casier judiciaire spécialisé. On imagine aisément l’effet d’étiquetage qui peut en résulter. Il contribue à désigner à vie l’auteur d’une infraction sexuelle ou de violence, quelle que soit son importance, comme potentiellement dangereux pour l’exercice de fonctions impliquant un contact avec des mineurs.
Cette mesure paraît d’autant plus vexatoire que, contrairement à une idée reçue, les délinquants sexuels présentent le plus faible taux de récidive de tous les types de délinquance.
Il paraît utile de citer ici l’intervention d’un sénateur lors de la discussion du texte, dans la séance du 31 janvier 2008 (compte rendu intégral des débats)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Madame le garde des sceaux, mes chers collègues,
je vais vous lire un extrait de l’intervention de M. Pascal Clément, alors garde des sceaux, inaugurant le 8 juillet 2005 le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles : « [...] pour que la justice soit efficace, elle se doit d’être fidèle à ses valeurs. Elle doit en particulier garantir le respect de la vie privée.
« [...] ce nouveau fichier est conforme à nos principes. Il nous permettra de mieux assurer la sécurité des Français et il nous permettra de garder ces informations confidentielles.
« Ce fichier est, en effet, exclusivement destiné aux professionnels en charge de la prévention et de la répression de la délinquance sexuelle.
« Il concerne donc les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaire et les préfets. La liste des autres administrations de l’État autorisées par la loi à consulter le FIJAIS fera l’objet d’un décret complémentaire au terme de travaux interministériels. »
Or l’article 12 bis vise à étendre la liste des personnes habilitées à consulter le fichier aux présidents de conseils généraux et aux maires, autrement dit aux administrations territoriales. Dois-je en conclure que ce qui était présenté par le garde des sceaux en 2005 comme une garantie de respect de nos principes ne l’est plus moins de trois ans plus tard ou que cet article ne respecte pas nos principes ?
Le FIJAIS a été créé par la loi du 9 mars 2004, loi dont les modalités d’application ont été fixées par un décret du 30 mai 2005 pris après avis de la CNIL, peu de temps après la mise en place de celle-ci.
La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales a étendu substantiellement son contenu et sa finalité.
La CNIL, relevant que les préfets et certaines administrations de l’État pourraient utiliser le fichier pour contrôler l’exercice des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs, soulignait alors qu’il n’était pas précisé si ce contrôle concernait uniquement les activités soumises à agrément ou si l’extension concernait l’exercice de l’ensemble des professions impliquant un contact avec des mineurs.
Le fichier est ainsi profondément modifié avant qu’un bilan ait pu être tiré de sa première version et sans que la CNIL ait pu se prononcer sur les modifications envisagées.
Or, je ne vois pas dans l’article 12 bis tel qu’il nous est proposé une quelconque prise en compte des inquiétudes de la CNIL.
Je constate en revanche qu’une fois de plus on nous demande d’accroître le nombre de personnes habilitées à consulter un fichier, en tentant de nous faire croire que cela va régler tous les problèmes. Or nous savons tous que cette multiplication permanente des fichiers et des personnes pouvant les consulter n’a absolument rien réglé.
J’ajoute que, pour ceux qui emploient des personnes susceptibles d’avoir des contacts avec les enfants, la formule est à l’évidence inopérante : y compris en matière de service public, du fait des délégations de service public, dans beaucoup de cas, ce ne sont pas les maires qui emploient directement ces personnes.
S’il s’agissait de permettre à tous les employeurs de consulter le fichier, ce serait un autre problème. Là, on adopte une solution bancale qui, à mon avis, ne résoudra pas le problème censé devoir être résolu, mais qui va en revanche multiplier encore le nombre de personnes habilitées à consulter le fichier.
C’est la raison pour laquelle je souhaiterais, madame le garde des sceaux, que vous nous donniez l’avis de la CNIL, si vous l’avez.
L’avis n’a pas été communiqué et le texte a été voté dans la forme indiquée ci-dessus.
Une présentation complète et très claire des textes se trouve sur le site de la Ligue des droits de l’homme, section de Toulon, lequel in fine reproduit un article d’Alexandra Guillet (Lci.fr) très éclairant sur les pratiques des Anglais à ce sujet.
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