Un marché public de l’Education pour stigmatiser l’usage de la liberté d’expression

Du renseignement en "milieu ouvert"
lundi 10 novembre 2008 par Gilles J. Guglielmi

On s’était ému de ce que les journalistes soient dorénavant surveillés dans leur activité blogueuse par le Service d’Information du Gouvernement. Le pire était à craindre. Il provient aujourd’hui du ministère de l’Education.

Le ministère de l’Education nationale publie un appel d’offres destiné à lui fournir une "veille de l’opinion dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche".

Sous cette désignation générale, se cache en réalité un propos digne des Renseignements Généraux (à l’époque héroïque de l’avant-DCRI). On en lit les objectifs dans le cahier des clauses particulières - CCP n° 2008/57 du 15 octobre 2008 :
- Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau
- Anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise
- Alerter et préconiser en conséquence

Il s’agit ni plus ni moins que de détecter un "risque opinion" qui pourrait affecter les axes politiques du ministère, en montrant du doigt les internautes qui font usage de leur liberté d’expression sur les sites ou blogs et étayent leurs opinions sur une connaissance réelle du système éducatif.

Le champ d’observation est des plus larges :

La veille sur Internet portera sur les sources stratégiques en ligne : sites « commentateurs » de l’actualité, revendicatifs, informatifs, participatifs, politiques, etc. Elle portera ainsi sur les médias en ligne, les sites de syndicats, de partis politiques, les portails thématiques ou régionaux, les sites militants d’associations, de mouvements revendicatifs ou alternatifs, de leaders d’opinion. La veille portera également sur les moteurs généralistes, les forums grand public et spécialisés, les blogs, les pages personnelles, les réseaux sociaux, ainsi que sur les appels et pétitions en ligne, et sur les autres formats de diffusion (vidéos, etc.)

Et la réactivité est souhaitée ! :

Les vidéos, pétitions en ligne, appels à démission, doivent être suivis avec une attention particulière et signalées en temps réel.

La clef de voûte du dispositif est en effet le passage en "mode alerte" qui permettra aux autorités de localiser les sources de troubles et d’identifier les crises potentielles avant même qu’elles surgissent.

C’est le deuxième appel d’offres de ce type publié en dix jours. Le premier émanait du SIG (Service d’Information du Gouvernement), qui souhaite surveiller tout ce qui se dit et s’écrit en ligne au sujet du gouvernement.

Les citoyens ne peuvent qu’être préoccupés de telles études qui, contrairement aux simples sondages d’opinion commandés par les ministères, peuvent comporter un traitement de données personnelles, désigner pour cible certains webmestres, blogueurs ou contributeurs et diriger une réponse, avec les moyens de l’Etat, contre ces derniers.
Au moins depuis le gouvernement Jospin, elles ne sont plus payées sur les fonds secrets, mais la transparence des marchés publics permet de constater leur coût, 220 000 euros en l’espèce, et de s’interroger sur le meilleur emploi des fonds publics.

Les observateurs attentifs des choses de l’éducation se demanderont par ailleurs si un tel marché n’est pas motivé, peu ou prou, par les révélations concernant Xavier Darcos, dont la politique apparaît, preuves journalistiques à l’appui, entièrement tournée vers la satisfaction discrète d’un seul type de groupes de pression, réactionnaires, ultra-libéraux et religieux. L’ouvrage phare sur ce sujet n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucun démenti, ni d’aucune poursuite, mais sa couverture médiatique progressive et la structuration de la blogosphère à son sujet pourrait expliquer certaines prises de consciences.

... A moins que ce ne soit une vieille rancune secrète contre la Presse, qui avait jugé utile de révéler que l’actuel ministre de l’Education était judiciairement impliqué dans une affaire de fraude aux sujets du baccalauréat alors qu’il était enseignant. C’était il y a 26 ans, mais avec Edvige...

Dans un dernier sursaut d’optimisme, les sites prudents ici et envisageaient qu’il s’agisse d’une tentative d’intoxication, mais non ! Vérification faite sur le site officiel d’achat public, le document est authentique. En réalité, cette pratique date de 2006 mais elle n’avait pas été découverte auparavant et surtout elle ne se conjuguait pas avec d’autres mesures récentes qui prennent visiblement la liberté d’expression sur l’Internet pour cible.

Cela n’empêchera pas les universitaires de conserver leur liberté d’expression et d’en faire usage, y compris lorsqu’ils sont juristes, et cela donnera une dimension nouvelle à la journée d’études "Doctrine juridique des blogs ou doctrine des blogs juridiques" le 5 décembre au CERSA de Paris-II.


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