La nouvelle presse de Guttenberg : le plagiat

dimanche 20 février 2011 par Francis Segond

« Les Mésaventures du baron perché »,
ou l’Allemagne invente le « jury de thèse populaire »

« - Est-ce pour approcher du ciel que votre frère reste là-haut ?
- Mon frère soutient, répondis-je, que pour bien voir la terre, il faut la regarder d’un peu loin. »

(Italo Calvino, "Le Baron perché")


Du haut de son arbre, au sommet des sondages d’opinion, le baron Karl-Theodor zu Guttenberg, actuel ministre allemand de la Défense (dont Drôle d’En-droit avait déjà signalé les méthodes peu orthodoxes) et très présentable candidat de la droite chrétienne et conservatrice à la succession d’Angela Merkel, contemplait le monde outre-rhénan avec confiance et quelque peu de suffisance lorsque, mardi dernier 15 février, un obscur professeur de droit public - de gauche de surcroît - fit part de ses curieuses découvertes à la presse...

La suite de l’histoire est désormais connue, même en France (voir "Libération" du 17 février [1]), le Dr. zu Guttenberg aurait, pour rédiger sa thèse de droit, usé déraisonnablement du « copié-collé » en omettant de citer ses sources ; en un mot le ministre aurait commis un plagiat pour obtenir son titre de docteur. Ou bien se serait attaché les services d’un nègre peu doué.

Deux petites lettres qui font la différence.
Pourquoi la réaction du public allemand est-elle aussi vive ?

Alors que la difficile réforme de la Bundeswehr et la mort de soldats allemands en Afghanistan devraient largement occuper l’agenda du ministre de la Défense, celui-ci est désormais empêtré dans ce scandale dont les répercussions aussi bien politiques que personnelles peuvent surprendre le public hors des frontières de la République fédérale.

C’est qu’en Allemagne, la titulature a son importance. Les deux petites lettres devant le patronyme vous différencient du commun : Herr Doktor Müller appartient à une élite à laquelle le plébéien Herr Müller ne saurait prétendre. Et il entend que cela se sache. Qu’il soit "Dr. phil.", "Dr. iur.", "Dr. oec." ou "Dr. agr.", son grade universitaire figure sur ses papiers d’identité et sur sa boîte aux lettres ! Et votre concierge ou l’inconnu rencontré dans la rue se devra de vous gratifier d’un incontournable « Herr (ou Frau) Doktor Müller ». C’est dire l’importance du doctorat - quel qu’il soit - de ce côté du Rhin.

La riposte publique.

Google recense plus de 4700 articles parus dans la presse allemande sur ce sujet depuis mercredi dernier. Qu’ils soient de gauche ou de droite, bien peu sont indulgents pour le faux pas de celui que les journaux ont surnommé le « Baron du copié-collé ».

Une initiative spontanée des plus curieuses - et c’est certainement une première issue des insoupçonnées possibilités de l’internet – vient de voir le jour :

un « wiki » a été ouvert au public, qui lui permet de rechercher les occurrences et les insertions litigieuses dans la thèse ministérielle. Avec un succès rapide et spectaculaire.

Là où le professeur de droit public à l’origine de l’affaire n’avait trouvé que onze passages douteux, les internautes, enseignants, étudiants, chercheurs ou simples curieux ont analysé, comparé et découvert des centaines d’emprunts inavoués.

Le site auquel participent depuis cinq jours plus de dix mille personnes a passé au peigne fin les 475 pages et les 1200 notes de la thèse et a ainsi découvert, en date du 19 février, que près de 267 pages (soit 67,94%) du travail étaient empruntées à d’autres auteurs, non ou mal cités, le tout sans les guillemets de rigueur. Chaque page est ainsi décortiquée et comparée grâce aux moteurs de recherche, avec des travaux antérieurs disponibles sur le net. Le résultat est ensuite affiché sur trois colonnes (la première citant la thèse de Guttenberg, la deuxième le texte emprunté et la troisième la source vérifiable). Les textes non présents sur la toile sont pour l’instant ignorés.

Le résultat est impressionnant (voir graphique ci-dessous)

Graphique Plagiat

(en bleu le sommaire et les annexes, en noir les plagiats d’une source unique, en rouge les plagiats de sources multiples)

et le blâme ne retombe pas seulement sur Guttenberg, mais aussi sur son jury de thèse et sur l’université de Bayreuth qui, quelle que soit la décision prise à l’encontre du plagiaire - la déchéance de son titre de docteur ou son maintien - ne sortira pas grandie de l’affaire.

Karl-Theodor zu Guttenberg a annoncé hier, au cours d’une conférence de presse, qu’il renonçait momentanément à son titre de docteur... ce qui n’est pas juridiquement possible.

Mise à jour au 1er mars 2011 :
L’université de Bayreuth a procédé le 23 février au retrait (annulation rétroactive) du titre de docteur de Karl-Theodor zu Guttenberg. Celui-ci a finalement démissionné de sa fonction de ministre de la Défense le 1er mars en milieu de journée.


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