Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique

dimanche 4 mai 2008 par Gilles J. Guglielmi

Dorénavant, au moment du dépôt de la demande d’un passeport, il faudra se faire prendre en photographie par une webcam et se faire scanner les empreintes digitales de huit doigts (et non deux comme le demande la réglementation européenne).

Ainsi en décide le décret n° 2008-426 du 30 avril 2008 modifiant le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques.

Les dispositifs techniques devront être appropriés et il est clair que cette nouvelle opération devra être assurée par les services qui accueillent la demande.

Les tenants de l’identification sécuritaire et de la lutte contre la contrefaçon des passeports, après avoir obtenu la production de normes européennes ici et , largement déclinées depuis sur le sujet, ont donc obtenu gain de cause. Le Royaume Uni qui avait tenté de faire annuler par la CJCE ce règlement pour contrariété au dispositif Schengen n’y est pas parvenu (arrêt de rejet).

Outre que le gouvernement n’a pas suivi l’avis de la CNIL (cf. contribution d’Eugeka, ci-dessous), cette évolution vers l’identification biométrique ne peut pas manquer de susciter quelques réflexions.

Tout d’abord, c’est sûrement le plus grave, le passeport électronique sonne le glas d’une activité qui rythmait notre vie depuis l’enfance, qui assurait la survie d’une profession artistique et qui donnait l’occasion de nombreuses plaisanteries familiales et amicales : l’industrie de la photo d’identité, qui va perdre au moins 30% de son chiffre d’affaires dans la tourmente.

Plus sérieusement : l’inscription d’une empreinte digitale sur un titre d’identité (concrètement la carte nationale d’identité) avait été abandonnée en France il y a plus de dix ans. Elle était considérée comme inutile et le recueil des empreintes comme vexatoire. Il étonnant que le passage à l’électronique ait vaincu ces réticences. Est-ce d’éviter l’encre et le nettoyage postérieur des doigts qui a produit cet effet ? Ou bien accepte-t-on aujourd’hui que soit appliqué à tout la population un procédé qui a toujours été réservé aux délinquants ? Car le fond du problème est bien celui-là. Le législateur avait jugé sage que les seuls individus que la police puisse rechercher par des moyens d’investigation automatisés soient des délinquants et qu’un citoyen ordinaire ne puisse pas aussi aisément figurer dans une liste de suspects. C’en est désormais fini de ce principe. Toute personne est dorénavant à la disposition de la police. Ou presque... Par mansuétude, la réglementation européenne a prévu une dispense, reprise par le décret, au profit des enfants de moins de six ans !

Ensuite, on peut aisément imaginer la complication de la procédure et son allongement, qu’occasionne un tel face à face. Les visiteurs des USA ces deux dernières années se souviendront aisément de l’heure d’attente aux contrôles des aéroports. Ceci se double de la difficulté pour l’Etat de faire assurer les opérations par les collectivités territoriales, depuis que le Conseil d’Etat a imposé que ce transfert donne lieu à une compensation des charges financières engendrées par ces points d’accueil et tâches supplémentaires, et que l’Etat ait préféré reprendre la gestion plutôt que de payer.

Dans la foulée, on s’étonnera que l’Etat français se soit lancé dans la fabrication d’un passeport électronique, aujourd’hui supprimé par le décret moins de deux ans après sa mise en service effective et après que le Conseil d’Etat eut clairement mis en évidence que l’attribution de sa fabrication à une célèbre entreprise ait été effectué en violation de la réglementation des marchés publics. Entre l’annulation du marché, la nécessité d’en repasser un autre, et la fourniture de passeports voués à être périmés deux ans plus tard (le règlement européen était déjà connu !), on souhaiterait savoir combien d’argent public a été gaspillé dans cette affaire.

Enfin, ce n’est pas tant ce que le cadre juridique actuellement applicable a prévu qui est inquiétant pour les libertés, que ce qu’il permet. En effet, le règlement (CE) n° 2252/2004 du Conseil du 13 décembre 2004 "établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres" dispose dans son article 4 que, "Aux fins du présent règlement, les éléments biométriques des passeports et des documents de voyage ne sont utilisés que pour vérifier : a) l’authenticité du document ; b) l’identité du titulaire grâce à des éléments comparables directement disponibles lorsque la loi exige la production du passeport ou d’autres documents de voyage." Oui mais qu’est-ce qui empêche les forces de police de se servir du document existant, passeport biométrique, à d’autres fins que celles du règlement européen ?


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