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Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique
Dorénavant, au moment du dépôt de la demande d’un passeport, il faudra se faire prendre en photographie par une webcam et se faire scanner les empreintes digitales de huit doigts (et non deux comme le demande la réglementation européenne).
Ainsi en décide le décret n° 2008-426 du 30 avril 2008 modifiant le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques.
Les dispositifs techniques devront être appropriés et il est clair que cette nouvelle opération devra être assurée par les services qui accueillent la demande.
Les tenants de l’identification sécuritaire et de la lutte contre la contrefaçon des passeports, après avoir obtenu la production de normes européennes ici et là, largement déclinées depuis sur le sujet, ont donc obtenu gain de cause. Le Royaume Uni qui avait tenté de faire annuler par la CJCE ce règlement pour contrariété au dispositif Schengen n’y est pas parvenu (arrêt de rejet).
Outre que le gouvernement n’a pas suivi l’avis de la CNIL (cf. contribution d’Eugeka, ci-dessous), cette évolution vers l’identification biométrique ne peut pas manquer de susciter quelques réflexions.
Tout d’abord, c’est sûrement le plus grave, le passeport électronique sonne le glas d’une activité qui rythmait notre vie depuis l’enfance, qui assurait la survie d’une profession artistique et qui donnait l’occasion de nombreuses plaisanteries familiales et amicales : l’industrie de la photo d’identité, qui va perdre au moins 30% de son chiffre d’affaires dans la tourmente.
Plus sérieusement : l’inscription d’une empreinte digitale sur un titre d’identité (concrètement la carte nationale d’identité) avait été abandonnée en France il y a plus de dix ans. Elle était considérée comme inutile et le recueil des empreintes comme vexatoire. Il étonnant que le passage à l’électronique ait vaincu ces réticences. Est-ce d’éviter l’encre et le nettoyage postérieur des doigts qui a produit cet effet ? Ou bien accepte-t-on aujourd’hui que soit appliqué à tout la population un procédé qui a toujours été réservé aux délinquants ? Car le fond du problème est bien celui-là. Le législateur avait jugé sage que les seuls individus que la police puisse rechercher par des moyens d’investigation automatisés soient des délinquants et qu’un citoyen ordinaire ne puisse pas aussi aisément figurer dans une liste de suspects. C’en est désormais fini de ce principe. Toute personne est dorénavant à la disposition de la police. Ou presque... Par mansuétude, la réglementation européenne a prévu une dispense, reprise par le décret, au profit des enfants de moins de six ans !
Ensuite, on peut aisément imaginer la complication de la procédure et son allongement, qu’occasionne un tel face à face. Les visiteurs des USA ces deux dernières années se souviendront aisément de l’heure d’attente aux contrôles des aéroports. Ceci se double de la difficulté pour l’Etat de faire assurer les opérations par les collectivités territoriales, depuis que le Conseil d’Etat a imposé que ce transfert donne lieu à une compensation des charges financières engendrées par ces points d’accueil et tâches supplémentaires, et que l’Etat ait préféré reprendre la gestion plutôt que de payer.
Dans la foulée, on s’étonnera que l’Etat français se soit lancé dans la fabrication d’un passeport électronique, aujourd’hui supprimé par le décret moins de deux ans après sa mise en service effective et après que le Conseil d’Etat eut clairement mis en évidence que l’attribution de sa fabrication à une célèbre entreprise ait été effectué en violation de la réglementation des marchés publics. Entre l’annulation du marché, la nécessité d’en repasser un autre, et la fourniture de passeports voués à être périmés deux ans plus tard (le règlement européen était déjà connu !), on souhaiterait savoir combien d’argent public a été gaspillé dans cette affaire.
Enfin, ce n’est pas tant ce que le cadre juridique actuellement applicable a prévu qui est inquiétant pour les libertés, que ce qu’il permet. En effet, le règlement (CE) n° 2252/2004 du Conseil du 13 décembre 2004 "établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres" dispose dans son article 4 que, "Aux fins du présent règlement, les éléments biométriques des passeports et des documents de voyage ne sont utilisés que pour vérifier : a) l’authenticité du document ; b) l’identité du titulaire grâce à des éléments comparables directement disponibles lorsque la loi exige la production du passeport ou d’autres documents de voyage." Oui mais qu’est-ce qui empêche les forces de police de se servir du document existant, passeport biométrique, à d’autres fins que celles du règlement européen ?
Gilles J. Guglielmi
Articles de cet auteur
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Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique3 juin 2008
Suite à la question posée (CE du 5 mai 2008), le nouvel arrêté est publié au JO du 3 juin 2008 : Arrêté du 26 mai 2008 relatif aux actes de l’état civil requis pour la délivrance ou le renouvellement du passeport, abrogeant et remplaçant l’arrêté du 30 juillet 2001 relatif aux pièces d’état civil requises pour la délivrance du passeport et l’arrêté du 31 mars 2006 relatif aux actes de l’état civil requis pour la délivrance du passeport électronique.
Il n’y a désormais que le “passeport”, et l’article 1er de cet arrêté dispose : « Les actes de l’état civil à produire pour la délivrance ou le renouvellement du passeport sont :
― l’extrait d’acte de naissance du demandeur, comportant l’indication de la filiation de celui-ci et tel qu’il est prévu par l’article 11 du décret n° 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l’état civil ; ― sous réserve de la preuve de l’impossibilité de produire l’acte de naissance précité, la copie intégrale de l’acte de mariage ».Eug.
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Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique12 mai 2008, par Eugeka.
La délibération n° 2007- 368 du 11 décembre 2007 portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat modifiant le décret n° 2005- 1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques rendue par la Cnil permet de vérifier combien le Gouvernement dédaigne parfois les recommantations et remarques qui lui sont faites.
Le Gouvernement n’a pas tenu compte des observations de la Cnil en créant par décret et non par la voie législative qui était souhaitée, le nouveau passeport biométrique.
Ce qui retient l’attention est la constitution de la banque de données, du sytème de traitement des données personnelles et de leurs finalités.
Ce système alors dénommé DELPHINE, et en instance de devenir TES, pourrait « ainsi constituer la première base centralisée de données biométriques à finalité administrative portant sur des ressortissants français » — tout en précisant encore : « Cette base serait en réalité segmentée en trois bases de données distinctes, contenant respectivement les données d’état civil, les données photographiques et les empreintes digitales. Il est prévu de mettre en œuvre des mécanismes de « double-hachage », pour garantir qu’une donnée biométrique, qu’il s’agisse d’une donnée photographique ou d’une empreinte digitale, ne puisse être consultée sans avoir préalablement accédé à l’enregistrement de la donnée d’état civil s’y rapportant. Le système central de traitement serait hébergé, exploité et supervisé par les services d’exploitation du ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, sur deux sites sécurisés. Il est également prévu des dispositifs de journalisation des accès afin d’assurer la traçabilité et l’imputabilité des opérations effectuées sur le système ».
Comme le signale la Cnil, « le recueil de huit empreintes digitales, d’une part, et la conservation en base centrale de l’image numérisée de ces dernières ainsi que celle du visage du titulaire, d’autre part », ne résultent pas des prescriptions du règlement du Conseil européen n° 2252/2004 du 13 décembre 2004 qui établit des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les Etats membres. Il y a là un dépassement manifeste des normes européennes...
En outre, après avoir rappelé qu’elle c« onsidère comme légitime le recours, pour s’assurer de l’identité d’une personne, à des dispositifs de reconnaissance biométrique », si et seulement si « les données biométriques sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif », la Cnil observe « que le traitement, sous une forme automatisée et centralisée, de données telles que les empreintes digitales, compte tenu à la fois des caractéristiques de l’élément d’identification physique retenu, des usages possibles de ces traitements et des risques d’atteintes graves à la vie privée et aux libertés individuelles en résultant ne peut être admis que dans la mesure où des exigences en matière de sécurité ou d’ordre public le justifient. »
Un certain contournement de la décision du Conseil constitutionnel n° 2007- 557 DC du15 novembre 2007 - Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, est induit par le décret en tant que la banque de données DELPHINE ou TES pourrait être aussi utilisée aux fins de statistiques. Or, le Conseil constitutionnel a souligné le fait que « si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race ».
Ce qui n’est pas sans inquiéter... -
Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique5 mai 2008, par Criticor
Des compléments passionnants à ce premier article se trouvent sur le site Droit Cri-Tic du professeur Geneviève Koubi...
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Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique5 mai 2008, par Abrogator
Petite anecdote sur la discrétion des abrogations implicites...
Le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques, tel que consolidé avant le 4 mai 2008 contenait un article 5 :
Le passeport électronique est délivré ou renouvelé sur production de la copie intégrale d’un des actes de l’état civil figurant sur une liste déterminée par arrêté du ministre de l’intérieur.
Or le ministre de l’intérieur (devenu peu après président de la république) avait fixé par arrêté une "liste" d’un genre nouveau : elle ne comprenait qu’un seul acte : l’acte de naissance !Cette disposition posait de nombreux problèmes à des Français nés outre-mer ou à l’étranger, dont les actes d’état civil (perdus ou détruits) ne pouvaient pas être fournis en copie intégrale par les services spécialisés, déconcentrés à Nantes. Elle obligeait des Français à refaire la preuve de leur nationalité, souvent difficile en l’absence de ce seul document accepté, pour obtenir le renouvellement d’un passeport. L’affaire avait donné lieu à une légitime indignation d’un conseiller de Paris dans un article de Libération et à deux recours en Conseil d’Etat d’un professeur de droit public et du GISTI. Bien que cette juridiction ait rejeté une procédure d’urgence dirigée contre l’arrêté, la mesure n’en était pas moins inopportune et vexatoire.
Aussi, discrètement, le décret du 4 mai 2008 dispose :
L’article 5 est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « de la copie intégrale » sont supprimés ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « à l’article 28 du code civil » sont remplacés par les mots : « aux articles 28 et 28-1 du code civil » ;
3° Le quatrième alinéa est supprimé.Pour information, les articles 28 et 28-1 du code civil font référence à la copie intégrale de l’acte de naissance, à l’extrait d’acte de naissance et au livret de famille...
Et hop ! comme dirait un personnage au gilet jaune...
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Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique24 mai 2008, par Eugeka
Effectivement, il y eut un recours... la décision du Conseil d’Etat a été rendue le 5 mai 2008, elle est consultable sur le site Legifrance (à moins que vous ne choisissiez y accéder en passant par ici).
On peut ainsi relever que : "l’arrêté ne fait pas obstacle à ce que les citoyens qui ne peuvent accéder aux pièces de leur état civil recourent aux procédures qui leur sont ouvertes soit auprès du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères habilité à établir de nouveaux actes de l’état civil au profit des citoyens ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d’outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants soit auprès des juridictions compétentes pour l’application de l’article 46 du code civil ; qu’en tout état de cause, l’arrêté n’ayant ni pour objet ni pour effet de déroger aux règles particulières, fixées par le législateur, dans certains cas exceptionnels où les registres de l’état civil sont manquants ou incomplets, les personnes qui se trouveraient, pour les motifs exceptionnels prévus par le législateur, dans l’impossibilité de produire, à l’appui d’une demande de passeport électronique, une copie intégrale de leur acte de naissance ou d’un acte de mariage, ne pourraient se voir opposer les dispositions de l’arrêté attaqué ; que, dans ces seules hypothèses, l’administration devra prendre en compte les éléments produits par le demandeur qui est dans l’impossibilité de fournir les pièces mentionnées dans l’arrêté attaqué"...
Ceci devrait-il être retenu en toute situation administrative qui dépend de la production de pièces impossibles à fournir ?
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Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique24 mai 2008, par Perplexité
Question : peut-on croire que ce n’est que par hasard que la décision du Conseil d’Etat du 5 mai 2008, Mme A, Gisti, req. n° 293934, sur le passeport électronique a été rendue le lendemain du jour de la publication de ce décret insituant un passeport qui ne dit plus son nom mais qui est désormais biométrique ?
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