Violer une disposition législative du Code électoral n’est pas une atteinte grave au droit de suffrage (TA Versailles ord. référé 17 avril 2007 - Machines à voter)
Le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rendu en ce sens une décision, rapportée par betapolitique.
La circonstance que les machines à voter ne satisfassent point à l’article L57-1 du code électoral "ne permet pas, à elle seule, de caractériser une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue l’exercice du droit de suffrage", dit l’ordonnance de référé en date du 17 avril.
Donc l’organisation des élections en violation des dispositions législatives n’a pas de caractère de gravité.
Affirmation étonnante si l’on se souvient que le juge électoral a reconnu il y a dix ans et plus que le simple fait que l’urne ne soit pas transparente compromettait l’ensemble du scrutin...
Etant donné l’originalité de sa formulation, proche du paradoxe (certains diraient du sophisme), un tel jugement mérite certainement qu’il en soit interjeté appel. Le Conseil d’Etat se prononcerait ainsi dans les 48 heures avec toute l’autorité qui est la sienne.
Il serait bon que le Conseil d’Etat se prononce en appel.
En effet, plusieurs autres requêtes ont été déposées et pourraient l’être encore au titre du référé-liberté. Or, les libertés fondamentales sont trop importantes pour qu’elles soient laissées aux éventuelles divergences d’interprétation entre les tribunaux administratifs.
La gravité de l’atteinte aux libertés fondamentales appartient à « l’office du juge des référés » (CE ord., 9 mars 2005, Moinuddim, AJDA 2005, p. 1302 concl. F. Donnat), c’est une appréciation subjective. Il n’y a aucune raison que toute atteinte à une liberté fondamentale soit considérée comme grave et on peut comprendre que le juge des référés fonde sa décision sur le contexte d’urgence et sur la nature des mesures provisoires qu’il aurait à prendre.
Une certaine politique jurisprudentielle peut aussi conduire à limiter les usages du référé-liberté aux atteintes qui rendent proprement impossible l’exercice de la liberté fondamentale en cause.
Mais quelle que soit la solution retenue par le juge administratif, il paraît indispensable que le Conseil d’Etat se prononce avec l’autorité qui le caractérise pour unifier la réponse de la juridiction administrative.
On peut aussi penser que l’atteinte au droit de suffrage est grave.
Les modèles agréés de machines à voter ne satisfont pas en effet à l’obligation posée par un article législatif du Code électoral : les machines doivent « ne pouvoir être utilisées qu’à l’aide de deux clefs différentes, de telle manière que, pendant la durée du scrutin, l’une reste entre les mains du président du bureau de vote et l’autre entre les mains de l’assesseur tiré au sort parmi l’ensemble des assesseurs » (art. L.57-1), ce qui n’est pas le cas.
Cela signifie donc que des agréments ont pu être délivrés par le ministère de l’Intérieur à des machines à voter qui ne présentent pas, de façon extérieure et visible (pas besoin d’être expert pour le constater !), cette caractéristique.
Cela signifie que, sur la base de ces agréments, des maires ont, de bonne foi, voulu organiser les bureaux de vote en choisissant la solution des ordinateurs de vote.
Et ceci dans 82 communes.
Au vu de ces éléments, un juriste peut soutenir sans exagérer :
que la méconnaissance des dispositions légales relatives aux conditions du vote (en agréant et en utilisant des machines qui ne répondent pas aux dispositions claires du code électoral) est une violation objective d’une garantie que le législateur a donnée à une liberté fondamentale
que cette violation n’est causée par aucune difficulté particulière dans l’organisation du scrutin
qu’elle est de nature à vicier l’ensemble du scrutin car elle aboutit à recueillir dans des conditions contraires à la loi l’expression d’environ un million et demi de suffrages
qu’elle est de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin pour un nombre de voix supérieur à l’écart probable entre chacun des quatre candidats qui arriveront en tête.
Et qu’en conséquence, elle présente un caractère de gravité.
En revanche, il n’y aurait aucun caractère de gravité à retirer ces machines quand il en est encore temps et à utiliser les bulletins de vote qui ont été imprimés en nombre largement suffisant pour couvrir les 44 millions et demi de votants. Ce retrait purgerait l’illégalité manifeste reconnue implicitement par le Tribunal administratif de Versailles, et il satisferait à un certain « principe de précaution ».
Gilles J. Guglielmi
Articles de cet auteur
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Pourvoi en cassation20 avril 2007, par Nicolas Barcet
Je viens de déposer une requête en cassation, voir http://www.betapolitique.fr/spip.php?breve0516.
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Pourvoi en cassation20 avril 2007, par GJG
Pour être exact, en droit, il s’agit d’un recours en appel.
En effet, le référé-liberté a la particularité, parmi les recours d’urgence, de n’être pas rendu en dernier ressort. Mais l’essentiel est que le Conseil d’Etat se prononce - même si c’est au titre de sa compétence d’appel (art. L.523-1 al. 2 du Code de justice administrative).
Ces recours en appel sont gratuits et expressément dispensés du ministère d’un avocat au Conseil (art. R 523-3 CJA).
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Violer une disposition législative du Code électoral n’est pas une atteinte grave au droit de suffrage20 avril 2007, par Frédéric
Le titre de votre article me semble faire un résumé un peu rapide de la situation. Bien entendu, je n’ai pas lu la décision du juge des référés (ce qui est assez handicapant pour donner un avis), mais tout de même, les décisions des juges des référés n’ont pas autorité de la chose jugée au principal, me semble-t-il, comme c’est le cas du juge des référés de l’ordre judiciaire (L. 511-1 du Code de justice administrative).
Ce qui semble plus grave, c’est qu’il n’y ait eu aucune saisine du Conseil constitutionnel préalablement, pour apprécier la conformité de l’article 57-1 du Code électoral à la constitution, et qu’il n’y ait eu aucune révision dudit article pour l’adapter aux réalités d’aujourd’hui pour fixer les conditions du vote électronique.
La formalité d’une double clé est principalement destinée au vote papier, afin d’éviter les fraudes. Est-celle une formalité substantielle, une condition de la validité du vote ?... le raccourci me semble un peu rapide dans le cadre d’un référé (c’eût été plus grave au fond), surtout si l’on ignore si l’article 57-1 est conforme ou non à la constituiton, vous ne croyez pas ?Dans ces conditions, qu’un juge des référés estime que le défaut de double clé n’empêche pas de voter, ne me semble guère surprenant (tout comme ne l’est pas non plus le fait que le ministère ait pu agréer des machines non conformes à 57-1).
N’aurait-il pas été plus judicieux de saisir le Conseil consititutionnel, en temps et en heure, de la question de la conformité de l’article 57-1 à la consititution et de confronter sa lettre aux conditions de validité d’un vote par machine électronique, afin de pousser le législateur à en définir les contours ?
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Violer une disposition législative du Code électoral n’est pas une atteinte grave au droit de suffrage20 avril 2007, par GJG
Cher Monsieur,
Je maintiens que le titre traduit la substance juridique réelle de la décision du juge des référés du tribunal administratif de Versailles. La décision du 17 avril admet l’éventualité d’une illégalité manifeste, mais ne la considère pas assez grave pour relever de la procédure de référé-liberté qui exige que cette atteinte ait, en outre, un caractère de gravité.
Contrairement aux apparences, le juge des référés administratifs dispose de pouvoirs extrêmement étendus, notamment dans ce référé-liberté où le code de justice administrative l’autorise à ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale », formulation volontairement large qui permet au juge de faire concrètement cesser l’atteinte.
Pour ce qui est de la saisine du Conseil constitutionnel, elle aurait pu intervenir en 1969, époque où la loi inscrivit le principe de machines à voter électro-mécaniques, ou à l’occasion du vote de lois modifiant, complétant ou affectant le domaine de cette dernière. Encore aurait-il fallu que les partis politiques s’en inquiètent à une époque où il n’était pas apparent que ces machines seraient de véritables ordinateurs, et où il n’était pas question de généraliser leur usage. Elle peut encore intervenir aujourd’hui, mais à un autre titre, car le Conseil constitutionnel a admis d’examiner, au titre de sa compétence de juge de l’élection, des recours dirigés contre certains actes préliminaires aux opérations électorales dans la mesure où ceux-ci pourraient porter atteinte à la régularité de l’ensemble de l’élection. Cette compétence est toutefois exceptionnelle, car la compétence de principe, dans la mesure où il s’agit d’actes administratifs réglementaires est celle du Conseil d’État. Si le coeur vous en dit, vu la date du décret de convocation des électeurs, vous pouvez toujours tenter l’expérience. Il y a gros à parier cependant que la Conseil constitutionnel, vu sa prudence légendaire, aurait soin de « botter en touche » cette patate chaude.
De façon générale, le contentieux pré-électoral est peu propice au traitement de questions juridiques (et techniques) complexes. En revanche, les réclamations dans le contentieux électoral lui-même sont plus productives, car dans le cadre d’un bureau de vote les écarts de voix sont souvent faibles et les pouvoirs du juge de l’élection s’exercent plus facilement. A cet égard, les élections législatives toutes proches fourniront un terrain idéal, sans parler des municipales de 2008 : les élus locaux si friands de technologie quand elles concernent les électeurs y regarderont à deux fois lorsque leur siège en dépendra.
Enfin, il est clair que le noyau dur du contentieux devrait porter, au fond du droit, sur les agréments, car après expertise technique, il est aisé de montrer que le fonctionnement des machines présente des aspects imprévus de nature à fausser les résultats.
Le point écarté par le tribunal administratif de Versailles demeure essentiel, car c’est bien au niveau de la vérification par l’électeur, par les bureaux de vote et par les juges que les machines à voter actuelles ne satisfont pas à la nécessaire transparence de l’acte majeur de la démocratie qu’est l’expression du vote souverain. Si tel n’était pas l’enjeu fondamental de la démocratie, pourquoi enverrait-on des « observateurs » internationaux dans les bureaux de vote des pays dont on veut évaluer le caractère démocratique ?
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Violer une disposition législative du Code électoral n’est pas une atteinte grave au droit de suffrage20 avril 2007
Si maintenant le contenu des articles de loi pourrait ne plus être pris en compte lors du jugement pour la raison de sa viellesse ou pour des raisons d’appréciations d’ordre objectif, alors, il ne sert à rien de se baser sur les lois.
Du coût, il n’y aurait point de référence pour que tout le monde se mette d’accord pour vivre et tollérer ensemble dans une société.
Il faut respecter les lois et les améliorer par la voie du parlement si nécessaire et non les mettre de côté dès que ça ne correspond plus.
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