Y a-t-il nécessité d’un « gouvernement économique » pour la zone euro ?

lundi 10 novembre 2008

« Restent deux points et j’en aurai terminé ».

On pourrait croire qu’en s’apprêtant à conclure ainsi, le locuteur désire relever en vitesse deux points mineurs. Eh bien non. Ces deux points sont loin d’être anodins, car ils cristallisent l’essentiel du propos, marquent l’aboutissement de la démonstration qui les a précédés, tout en étant porteurs d’enseignements et de propositions concrètes : « Le premier [point], c’est que la crise financière nous amène une crise économique ». […]

« Enfin, dernier point : les institutions ».

C’est la technique oratoire qu’a utilisée le président de la République lorsqu’il s’est adressé, le mardi 21 octobre, au Parlement de Strasbourg en tant que président de l’Union européenne. En amenant l’attention de l’hémicycle sur ces deux éléments, le Président Sarkozy n’offre pourtant à l’observateur de la scène européenne qu’un tableau partiel de sa pensée. Pour être en mesure de la comprendre dans toute sa mesure, un travail de reformatage, de recomposition de son discours, s’impose. Mais surtout, un soin tout particulier doit être porté au non-dit, spécialement aux personnes et États membres qu’il ne nomme pas ou ne mentionne qu’au passage, alors que, en ce qui concerne le point précis sur lequel il désire attirer l’attention, ils sont tout autant protagonistes que la France et son Président. L’accent doit être mis, en outre, sur les oppositions - nombreuses dans ce discours - entre deux énoncés se rapportant à une même idée, le second étant tout à fait contradictoire avec le premier, mais contenant assurément l’élément qui exprime le plus fidèlement la pensée du Président.

À Strasbourg, M. Sarkozy, en dressant un bilan de son action à la tête de l’Union européenne depuis sa prise de fonction, le 1er juillet, a d’abord essentiellement concentré son propos sur les deux événements qui ont marqué cette présidence jusqu’ici, soit le conflit en Géorgie et la crise financière. Les deux points apparemment mineurs par lesquels il a entendu terminer son allocution constituent justement les leçons qu’il convient de tirer de ces événements, tant pour l’avenir de l’Union et de ses institutions que pour la santé économique des États qui la composent. Ils servent en fait à appuyer l’énonciation d’une idée déjà exprimée par le Président français. Mais la survenance des deux événements qu’il mentionne et, surtout, le mécanisme par lequel des solutions ont pu être trouvées, démontrent éloquemment son bien-fondé, lui conférant même une dimension nouvelle. Les partenaires européens de la France ont d’autant plus intérêt à la prendre en compte que l’Union est appelée à évoluer, dans les prochains, mois, dans un contexte peu propice à la résolution tant d’une résurgence du premier événement ou de la survenance de crises du même genre dans les zones limitrophes, que de l’approfondissement du second.

Ce contexte est composé de deux volets. Envisagé sur le plan politique d’abord, il est marqué par deux éléments : d’une part, la ratification du traité de Lisbonne, qui concrétise une certaine réforme des institutions, est paralysée par le refus encore insoluble qu’y a opposé l’Irlande le 12 juin dernier ; d’autre part, l’arrivée à la tête de l’Union, en janvier prochain, d’une République tchèque dirigée par deux eurosceptiques, le président Vaclav Klaus et le premier ministre Mirek Topolanek, qui sera suivie, en juillet, d’une Suède qui n’a pas adopté l’euro. Contexte envisagé d’un point de vue économique ensuite, dans la mesure où les prochains mois sont susceptibles de voir s’enliser l’Europe dans une crise économique dans laquelle la plupart des États de l’Union se trouvent déjà [1].

Le contexte étant posé, il convient d’abord de décrire ce que contient l’idée du président Sarkozy (I), avant de montrer en quoi elle est inacceptable (II)

I - Le contenu de l’idée

De façon schématique, l’idée de M. Sarkozy peut se résumer comme suit [2]. Seule une présidence de l’Union forte a permis de régler le conflit géorgien, De surcroît, c’est la réunion, pour la première fois à ce niveau, des chefs d’État et de gouvernement des pays de la zone euro (Eurogroupe), qui a permis l’adoption du plan de sauvetage massif des banques européennes. Que se serait-il passé si l’Union avait été placée sous une présidence « molle » ? Le 1er janvier prochain, une fois terminée la présidence française de l’Union, il est probable que le conflit en Géorgie, pour le moment calmé mais néanmoins encore larvé, renaisse, ou ne se propage à des régions voisines, voire que d’autres conflits de cette ampleur surgissent aux portes de l’Europe. Par ailleurs, la conjonction de la crise financière et de la crise économique est susceptible de résulter en une dépression économique majeure, la pire depuis celle de 1929. Telles sont là, d’une certaine manière, les prémisses.

En raison de la paralysie du processus de ratification du traité de Lisbonne entraînée par la non-résolution du « cas irlandais », il n’y aura pas de présidence stable de l’Union en 2009 [3]. Pourquoi ne pas faire en sorte que les remèdes, sinon à la dépression économique future, du moins à l’approfondissement de la crise économique actuelle, procèdent du même mécanisme institutionnel que celui qui a permis l’adoption du plan de sauvetage des banques ? C’est-à-dire l’Eurogroupe, réuni, dans des cas aussi graves, non plus au niveau habituel des ministres des finances [4], mais à celui des chefs d’État et de gouvernement, sous la présidence de M. Sarkozy. Il s’agirait d’une solution de rechange en attendant que la présidence de l’Union revienne de nouveau à un pays membre de l’Eurogroupe, soit l’Espagne, le 1er janvier 2010. Elle s’imposerait d’autant qu’on ne peut rien attendre d’une Commission européenne en fin de mandat. L’on instituerait de la sorte, pour l’année 2009, une présidence stable de facto, qui reviendrait au président de l’Eurogroupe réuni au niveau des chefs d’État et de gouvernement.

Naîtrait ainsi une sorte de Conseil européen restreint de l’Union, de la même manière qu’a été créé le Conseil élargi, soit de la pratique, c’est-à-dire en dehors des traités. Solution d’autant plus aisée à mettre en oeuvre que l’Eurogroupe est une instance non consacrée pour le moment, ne devenant formelle qu’au moment de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et du protocole no 3 qui y est annexé.

II - Une idée non acceptable

Cette idée est cependant inacceptable de façon générale, tant lorsqu’on se place dans une optique politique et institutionnelle (A) qu’économique (B).

A - Une idée non réalisable d’un point de vue politique et institutionnel

Sur un plan politique général, l’institution d’un Conseil européen restreint constituerait une entorse majeure sur le plan institutionnel : elle viendrait, en dehors des traités, instaurer un directoire de la majorité, et en particulier de la France, bouleversant tout l’équilibre institutionnel voulu par les traités. Cette nouvelle instance de décision aurait pour effet de rompre l’égalité entre les 27, s’agissant d’un gouvernement restreint auquel les pays non membres de la zone euro ne participeraient pas. Autant dire que cette proposition n’a aucune chance d’être retenue.

Cette solution relève aussi, pour une part, d’une conception faisant peu de cas de l’idée de solidarité inhérente à l’Union et de la confiance devant être accordée aux autres chefs d’État et de gouvernement. L’Europe a connu bien des crises avant l’arrivée de
M. Sarkozy à la présidence de l’Union, et elle en vivra d’autres après son mandat. Les dirigeants qui étaient au pouvoir dans le passé ont su les régler tant bien que mal ; on ne voit pas pourquoi il en irait différemment dans l’avenir. D’autant que la présidence, quoiqu’elle serve à donner à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et à définir ses orientations politiques générales, n’est pas la seule institution susceptible de le faire. La Commission veille aussi à l’intérêt de l’Union dans son ensemble. Même en fin de mandat, elle a annoncé la semaine dernière qu’elle présenterait un plan de soutien à la croissance. De plus, une présidence « molle » de l’Union n’empêche pas d’autres chefs d’État et de gouvernement de prendre des initiatives dans l’intérêt de l’Union.
M. Sarkozy en est d’ailleurs lui-même le meilleur exemple, par les efforts qu’il a déployés en vue de la conclusion du « traité simplifié », devenu le traité de Lisbonne.

B - Une idée non réalisable d’un point de vue économique

L’idée de M. Sarkozy peut apparaître, à première vue, plus intéressante sur le plan économique. Il n’en a pas fait mystère dans son discours, le rôle de ce « gouvernement économique clairement identifié », comme il l’appelle, serait de servir
d’« interlocuteur » - en vérité de contre-pouvoir -, à la Banque centrale européenne (BCE).

On se souvient des critiques que M. Sarkozy a adressées, à quelques reprises ces derniers mois, à la BCE, lui reprochant la rigueur de sa politique monétaire, dont les conséquences seraient de pénaliser les exportations françaises. Il voudrait en fait que la BCE ne puisse plus agir en toute indépendance dans l’accomplissement de sa mission principale, qui est de veiller au maintien de la stabilité des prix au sein de la zone euro et, par conséquent, à la préservation du pouvoir d’achat de la monnaie unique ; qu’un
« dialogue » s’instaure entre la BCE et le gouvernement économique qu’il propose d’instituer.

Le modèle auquel se réfère implicitement le Président français est celui des États-Unis, où, de la même manière que ce qui se fait, par exemple au Canada, la Banque centrale, dans l’accomplissement de sa mission de maintenir la stabilité des prix et, par conséquent, la valeur la monnaie nationale, entretient des relations plus étroites avec le gouvernement en place, dialogue avec lui, tient compte de ses priorités en ce qui concerne le taux de croissance de l’économie et le taux de chômage. De sorte que l’indépendance de la Banque centrale n’est pas absolue, comme celle que l’on prête à la BCE, mais seulement relative. Les cloisons sont moins étanches que dans la zone euro. Ce système a permis, relève M. Sarkozy, aux autorités gouvernementales et monétaires américaines de travailler de concert afin d’apporter une réponses « puissante » et « rapide » à la crise financière.

D’où son idée d’instaurer un « gouvernement économique » de la zone euro. Un gouvernement qui, dans les faits, pourrait exercer une influence, voire une certaine pression, sur la politique monétaire de la BCE afin que cette dernière, au lieu de n’avoir essentiellement égard qu’au taux d’inflation, tienne compte des préoccupations des gouvernements sur le plan de la croissance économique et du taux de chômage. Quitte, par conséquent, à ce que la BCE relativise la stabilité et la valeur de l’euro.

De façon plus immédiate, un tel « dialogue » permettrait, selon le Président français, l’instauration d’un grand plan de relance, une sorte de New Deal européen, qui serait ciblé sur certaines industries, comme l’industrie automobile. Les sommes nécessaires pourraient provenir, entre autres, de fonds souverains nationaux, qui coordonneraient leur action à cette fin. Ils serviraient ainsi d’instruments de mise en œuvre d’une politique industrielle européenne encore à définir, par les investissements auxquels ils procéderaient dans les secteurs clés ciblés.

Grand plan de relance, politique industrielle, fonds souverains. Il faudrait pour cela que les États de la zone euro disposent d’une marge de manœuvre budgétaire qui leur fait défaut aujourd’hui, corsetés qu’ils sont par le Pacte de stabilité et de croissance (le Pacte), qui leur impose des engagements pluriannuels sur le plan des déficits et de la dette publics. Cela nécessiterait aussi que la BCE relâche sa discipline sur les taux directeurs.

L’idée de M. Sarkozy est apparemment pleine de sens. D’autant - ce qu’il ne dit pas - que les responsables de la BCE ne sont pas redevables de leur action devant la population, comme le sont les gouvernements. Il est vrai qu’à l’heure actuelle, l’Union économique et monétaire (UEM) ne constitue en vérité qu’une union monétaire. Son pendant, l’union économique, n’existe que sous la forme d’une coordination étroite des politiques économiques et budgétaires des États membres. C’est en fait la vision allemande de ce que doit être une UEM qui fut inscrite dans le traité de Maastricht sur l’Union européenne. Pour des raisons historiques, les Allemands tiennent à ce qu’une banque centrale soit indépendante, son objectif premier devant être d’assurer la stabilité de la monnaie, et donc d’avoir l’œil sur le taux d’inflation plutôt que sur les taux de croissance et de chômage. L’Allemagne a donc, à l’époque, réussi à imposer sa vision. L’Europe n’avait pas le choix, car sinon, c’était prendre le risque que, en contexte de réunification, la nouvelle Allemagne se détourne de l’Europe de l’Ouest pour reconstituer à son profit une zone d’influence politique et économique à l’Est. Aujourd’hui, dans un contexte où la crise économique risque de se prolonger durablement et même de se transformer en grave dépression, est-il pertinent de revoir les principes de fonctionnement de l’UEM ? Si le moment ne s’avère pas approprié, conviendra-t-il d’agir en ce sens une fois la crise passée ?

En vérité, il s’avère inapproprié de revoir, au cœur de la crise et même après, les mécanismes et institutions qui structurent l’UEM. Car ceux-ci ne sont pas aussi stricts que peuvent l’affirmer certains ; ils ménagent une certaine souplesse. D’abord, le Pacte lui-même, depuis qu’il a été tempéré lors du Conseil européen de mars 2005, prévoit le non-enclenchement des procédures pour déficits excessifs dans l’éventualité d’une récession. La France ne court donc aucun risque sur ce plan [5]. D’ailleurs, la Commission européenne, du fait que la plupart des pays de la zone euro, voire de l’Union, sont actuellement en récession ou vont l’être bientôt, a annoncé il y a quelques jours qu’elle ferait preuve de souplesse sur la question des déficits. Si cela ne suffit pas, et que les pays de la zone euro plongent dans une récession plus prononcée, il y aura lieu, le cas échéant, de modifier le Pacte à nouveau. Cette volonté de rectification ressort d’ailleurs implicitement de la déclaration no 30 annexée à l’Acte final de la Conférence intergouvernementale du 13 décembre 2007 qui a adopté le traité de Lisbonne, de sorte qu’un certain consensus prévaut désormais pour réformer le Pacte afin de mieux l’adapter aux cycles économiques. Le Pacte n’a en outre pas empêché l’adoption du plan de sauvetage massif des banques, le président de la Commission européenne et celui de la BCE ayant d’ailleurs été associés à sa formulation, en particulier lors du Sommet des membres européens du G8, tenu le 4 octobre à l’Élysée.

Mais, plus globalement, est-il adéquat que, selon M. Sarkozy, « l’Europe puisse apporter une réponse aussi puissante et aussi rapide que tel autre ensemble mondial, comme les États-Unis ont pu le faire face au drame qu’a représenté la crise financière » ? Poser cette question, c’est au fond, au-delà des considérations relatives à l’indépendance de la BCE, poser une autre interrogation sous-jacente : convient-il de modifier l’optique de développement économique qui, en Europe, figure dans le traité sur l’Union européenne ? En d’autres mots, serait-il approprié de troquer le modèle de croissance d’un taux sans doute moindre que celui enregistré dans d’autres continents, mais équilibrée et saine, appuyée sur une monnaie forte, avec cependant des taux de chômage plus élevés, au profit de l’autre modèle de référence, c’est-à-dire une croissance plus forte, mais fondée sur une monnaie faible et instable, une croissance pour une bonne part artificielle et à crédit, avec des taux de chômage moindres mais avec son lot de travailleurs pauvres ? Sans parler de la conception sociale qui sous-tend ces deux modèles de développement. Toute la question est là.

En vérité, l’échec du modèle de développement économique et social européen reste à démontrer. En tout cas, il n’a pas empêché l’Allemagne de demeurer un puissant exportateur. Certes, le modèle peut être revu, mais pas dans ses fondements. Si des ajustements sont requis, c’est par la modification du Pacte qu’ils doivent se faire.

Il est par ailleurs exagéré d’affirmer que la BCE ne tient pas compte des préoccupations des gouvernements en ce qui touche la croissance et du chômage. La mission principale du Système européen des banques centrales, que chapeaute la BCE, est certes de veiller sur la stabilité des prix et de l’euro. Mais la BCE doit également tenir compte des autres objectifs de la Communauté européenne inscrits à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, spécialement une croissance économique équilibrée, qui tend au plein emploi et au progrès social. De plus, nous venons de le mentionner, le président de la BCE, M. Jean-Claude Trichet, a été associé aux discussions qui ont conduit à l’adoption du plan de sauvetage des banques. Il est d’ailleurs invité à prendre part, à l’occasion, aux réunions de l’Eurogroupe, son rôle en ce sens ayant été institutionnalisé dans le protocole no 3 annexé au traité de Lisbonne. Réciproquement, le président de l’Eurogroupe peut assister, sans droit de vote, aux réunions du Conseil des gouverneurs de la BCE. Il y a donc des ponts entre cette dernière et l’Eurogroupe.

Il apparaît tout de même curieux qu’après avoir été le propagandiste du traité de Lisbonne, qui, en particulier dans son protocole no 3, formalise l’Eurogroupe au niveau des ministres des finances, M. Sarkozy propose aujourd’hui de modifier les règles du jeu, probablement de façon durable, alors que ce traité n’est même pas encore en vigueur. Certes, la réunion de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’État et de gouvernement a permis l’adoption du plan de sauvetage des banques. Mais ces situations sont exceptionnelles, et ce n’est pas une seule occurrence qui nécessite qu’on mette soudain au rebus l’article 115 B du nouveau traité et le protocole no 3. Rien n’empêche d’ailleurs de réunir l’Eurogroupe au niveau souhaité par M. Sarkozy si la situation le requiert de nouveau, tout en laissant, pour le reste, les ministres des finances jouer leur rôle.

La principale difficulté que rencontrera M. Sarkozy dans la croisade qu’il va entreprendre pour faire accepter son idée est que l’Allemagne a toujours été contre l’instauration d’un gouvernement économique restreint. Certes, on retrouve des voix favorables outre-Rhin, comme celle de l’ancien ministre des affaires étrangères, M. Joschka Fischer [6]. Mais on cherche vainement les appuis chez les dirigeants actuels, dont la chancelière Angela Merkel, que M. Sarkozy n’a pas consultée avant de prononcer son discours à Strasbourg.
L’Allemagne ne veut pas de gouvernement économique en raison des conséquences prévisibles qu’entraînerait l’adoption du grand plan de relance que la création de la nouvelle instance a justement pour but d’instaurer. Car le financement du plan ne pourrait se faire que par endettement qui, s’ajoutant à celui qui résulte du plan de sauvetage des banques, conduirait inévitablement à une diminution de la valeur de l’euro sur les marchés des changes et à son cortège de corollaires négatifs que l’Allemagne a en horreur. Au surplus, selon l’Allemagne, les pays de la zone euro doivent d’autant plus respecter les disciplines du Pacte qu’avec une monnaie unique, les déficits et la dette publics sont, d’une certaine manière, « communautarisés », de sorte que les membres vertueux doivent payer une partie de la note de ceux qui le sont moins. Mme Merkel fut d’ailleurs fort réticente à accepter le plan de sauvetage des banques, ne s’y ralliant que parce que la banque immobilière allemande Hypo Real Estate était près du dépôt de bilan.

De leur côté, les responsables de la BCE, notamment par la voix de son chef économiste et membre du directoire, Jürgen Stark, se sont déjà prononcés contre l’idée de gouvernement économique, car sa réalisation entraînerait un affaiblissement de l’indépendance de l’institution de Francfort. Le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, est du même avis. Ailleurs en Europe, M. Jean-Claude Juncker, premier ministre luxembourgeois, rejette luis aussi l’idée, craignant de devoir payer plus que sa part de la facture du grand plan de relance.

Conclusion

Force est donc de reconnaître que le Président français se trouve encore bien isolé dans son projet d’établir un gouvernement économique de la zone euro. Seul l’appui de l’Allemagne, qu’il ne semble pourtant pas rechercher, pourrait le concrétiser. Le grand voisin d’outre-Rhin n’y est pas favorable pour le moment, d’autant qu’il vient lui-même d’annoncer la mise sur pied d’un vaste et coûteux programme de soutien de l’économie d’un montant de 23 milliards d’euros [7]. Il n’est pas impossible, mais néanmoins fort improbable, qu’il change d’idée, même s’il s’installe durablement dans la récession au cours des prochains mois. Tout au plus pourra-t-il consentir à un nouvel assouplissement du Pacte.

Par-delà ces considérations, l’observation de la scène européenne actuelle révèle que le couple franco-allemand vit une panne relationnelle. M. Sarkozy devrait faire en sorte d’engager des efforts diplomatiques plus soutenus envers l’Allemagne. Il en va certes des perspectives de succès de son idée de gouvernement économique de la zone euro. Mais même en cas d’échec du projet, l’établissement de relations plus étroites avec l’Allemagne permettra de poser le cadre propice à l’acceptation d’un nouvel assouplissement du Pacte. Car il faudra bien que M. Sarkozy convainque l’Allemagne et les autres États réticents de la zone euro de la nécessité de cette nouvelle modification. Si l’Allemagne et d’autres pays doivent payer plus que leur part pour que non seulement les États membres de la zone euro, mais encore l’ensemble des États de l’Union, traversent sans trop d’encombres la crise économique, au moins doit-on faire l’effort de rechercher leur assentiment préalable. La solidarité est à la base même de l’idée d’Union européenne, et elle préside à son fonctionnement. Aussi doit-on préserver ce sentiment chez ceux qui auront à contribuer plus que d’autres. Sentiment de solidarité d’autant plus nécessaire de sauvegarder que des solutions inédites devront probablement être trouvées pour sortir de la crise, les solutions traditionnelles, comme la baisse des taux directeurs, ne semblant plus redonner confiance aux marchés boursiers .

[1A. BERNAS, « La zone euro entre en récession », La Croix, 3 novembre 2008

[2Pour un résumé succinct de la pensée de M. Sarkozy, v. C. CHAMBRAUD, A. LEPARMENTIER et P. RICARD, « Nicolas Sarkozy souhaite diriger la zone euro jusqu’en 2010 », Le Monde, 23 octobre 2008, et l’éditorial du même jour, intitulé « Sarkozy l’Européen »

[3À l’heure actuelle, la présidence de l’Union est semestrielle et assumée à tour de rôle par chacun des États membres. Le traité de Lisbonne prévoit cependant l’instauration d’une présidence stable. À cet effet, un Président du Conseil européen, nommé pour deux ans et demi, devait être désigné par le Conseil européen dans sa composition actuelle entre le moment de la signature du traité, le 13 décembre 2007 à Lisbonne, et celui de l’entrée en vigueur de ce « traité simplifié », prévue à l’origine le 1er janvier 2009, suite à la ratification par chacun des États membres. Le « non » exprimé par les Irlandais lors du référendum du 12 juin dernier remet par conséquent à plus tard l’établissement d’une présidence stable

[4L’Eurogroupe est actuellement présidé par le premier ministre et ministre luxembourgeois des finances, M. Jean-Claude Juncker, dont le mandat se termine le 31 décembre 2008

[5AFP, « La France creuse le déficit public », La Croix, 3 novembre 2008

[6J. FISCHER, « Europa braucht eine Wirtschaftsregierung », Die Zeit, 20 octobre 2008

[7M. VERRIER, « L’Allemagne adopte des mesures de soutien à la conjoncture », La Croix, 5 novembre 2008


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