La faveur, rouage du droit ou indice de non-droit ?

Séminaire de recherches interdisciplinaire, réuni au CERSA de Paris-II
lundi 20 août 2007 par Gilles J. Guglielmi

Un colloque transdisciplinaire portant sur « la faveur » a mis à jour un certain nombre nombre de questions fondamentales, au travers de cas portant en particulier sur le Brésil (Claudine Haroche, Gizlene Neder, « Entre faveur et défaveur », Université fédérale Fluminense de Rio de Janeiro, avril 2001, non publié). On repart ici de ce colloque en entreprenant de le prolonger, de l’approfondir et d’en ouvrir le questionnement à d’autres cultures et champs du savoir.
Le séminaire de recherches se déroule au CERSA de Paris-II.


Les séances de 2006-2007 ont donné lieu à des comptes rendus qu’on trouvera ici sur ce site.

Les deux premières séances de l’année 2007-2008, qui auront lieu à la salle de réunion du CERSA, 10, rue Thénard, de 17 h à 19 h, sont ainsi fixées :

Jeudi 27 septembre 2007 : Retour aux fondements

- "Favor debitoris", comment se préoccupe-t-on au Moyen âge du sort des mauvais payeurs ? par le Pr André Castaldo.
- Réflexions sur les éléments consensuels ou contestés de la définition de la faveur, par l’ensemble des participants.

Mardi 23 octobre 2007 : La faveur et le local

- Résultats de recherche sur "faveur et rôle des assistants parlementaires", et sur "faveur et usage des pouvoirs discrétionnaires des chefs des exécutifs locaux", par Patrick Le Lidec.
- Orientations et choix d’organisation du colloque et de l’ouvrage.


Le thème de la faveur est étonnamment peu abordé dans les recherches en sciences humaines et sociales.
La cause de cette désaffection se trouve sans doute dans le rôle joué par la faveur sous l’Ancien Régime. La faveur apparaît aujourd’hui comme une notion obscure, dépourvue de statut épistémologique clair tant en droit qu’en sociologie. On semble se contenter de la qualifier et de lui infliger une réprobation pénale sans chercher à s’interroger sur ses causes ni sur les mécanismes qu’elle occulte. Ainsi pour un juriste la faveur se tient-elle aux marches du droit.

L’observation montre pourtant que les phénomènes relevant de la faveur, qu’ils soient pénalement qualifiés ou pas, sont massivement présents dans les sociétés contemporaines, non seulement dans les Etats africains, asiatiques, sud-américains, mais aussi dans les démocraties occidentales. Ils relèvent certes du modèle classique du clientélisme romain mais sont plus diffus, insidieux et diversifiés que celui-ci. La recherche ne saurait donc faire l’économie de travaux destinés à clarifier les termes du débat, à identifier les invariants, à proposer une explication de la notion de faveur souvent présentée comme relevant du sens commun ou de la nature humaine.

Des approches

La faveur peut être un état, dans le cas où elle résulte de la bienveillance, de la considération de celui qui la manifeste. Jouir de la faveur de quelqu’un en particulier ou de la faveur publique en général, c’est bénéficier d’une situation avantageuse, même si elle demeure toujours fragile. La faveur peut aussi être le résultat de cet état, se traduisant en un avantage concret.

Pour réunir les deux acceptions, la faveur peut être abordée sous l’angle du rapport qu’elle suppose entre son auteur et son bénéficiaire.

Le rapport de faveur est à l’évidence limité dans le cas de la faveur publique, laquelle ne se traduit pas, le plus souvent, par des actes constitutifs d’avantages objectifs. Il met en jeu, cependant, des phénomènes complexes qui pourraient être étudiés par la science politique en tant qu’ils relèvent de la formation et de l’évolution de l’opinion publique. Pour la science juridique, la marque de faveur, matérialisant une situation juridique réservée à son bénéficiaire et créatrice de droits, se rattache à l’idée de privilège (« privata lex »).
Lorsque dans la sphère privée s’établit un rapport de faveur entre particuliers, surgissent de multiples questions dans les champs disciplinaires les plus variés.

Des buts

Le rapport de faveur, à la fois univoque et déterminé, a pour but avant tout d’accorder un avantage à son bénéficiaire. Dès lors, entre en jeu la question de la compatibilité avec le principe d’égalité. Même entre personnes privées dans les rapports civils, la faveur n’est pas sans limite, comme en témoignent les règles de rapport des libéralités à la succession, ou celles de la filiation en droit international privé.

A fortiori lorsque l’auteur de la faveur a la qualité de représentant ou d’organe d’une personne publique, l’ensemble de la situation est régie par le principe d’égalité mais elle révèle bon nombre d’interstices, comme les recours et mesures gracieuses du droit administratif, la naturalisation, la grâce présidentielle, l’amnistie.

Un contexte

Le caractère facultatif, avantageux, inconditionné de la faveur renvoie au bon vouloir, à l’absence de rapport d’obligation, à la dimension unilatérale et discrétionnaire du pouvoir de son auteur. Le contexte est donc celui d’une hiérarchie qui n’est ni forcément de circonstance, ni purement fonctionnelle.

Dans certains cas, en amont, la faveur a été sollicitée par son futur bénéficiaire. Le rapport de faveur est donc inséré dans une économie complexe de liens et d’échanges. Il est préfiguré, et peut s’établir dans une situation en quelque sorte pré-constituée.

Dans d’autres cas, en aval, la faveur, bien qu’elle soit unilatérale, appelle implicitement une contrepartie de la part de son bénéficiaire. Cette contrepartie peut être pécuniaire ou symbolique, licite ou illicite, immédiate ou différée.

Des fondements cachés

Ensuite, le bénéficiaire de la faveur souhaite visiblement être distingué (Sieyès, Rousseau). Mais la faveur, qui affermit une distinction, consacre aussi, entre son auteur et son bénéficiaire, une distance dont le principe même est qu’elle ne peut pas être mise en cause. Elle fonctionne comme une barrière symbolique non seulement entre le bénéficiaire et l’auteur, mais entre le bénéficiaire et les non bénéficiaires. Le fait de ne pas obtenir de faveur, s’il déclenche jalousie, dépit et ressentiment, n’aboutit pas en général à une contestation du cadre d’attribution de la faveur.

L’auteur de la faveur, quant à lui, ne prétend pas à titre principal détenir un pouvoir. De fait, le rapport de faveur étant unilatéral et inconditionné ne lui procure aucun moyen direct d’influencer le comportement futur du bénéficiaire de la faveur. Cette influence existe pourtant de façon diffuse et varie suivant le cadre licite ou non de la marque de faveur, son caractère public, l’existence d’une contrepartie coutumière. En revanche, par la satisfaction effective de ses bénéficiaires, l’auteur des faveurs préserve le système lui-même et surtout la stratification sociale qu’il consacre en distribuant des faveurs et non des droits.

La faveur peut par ailleurs révéler l’expression d’un phénomène de domination/subordination antérieur à tout rapport effectif entre les protagonistes. L’idée de faveur publique y concourt, notamment en référence à la doctrine américaine de la force de pression du faible sur le fort, ou à la conception asiatique de la « Triade Femelle » désignant la notion de faveur jointe aux deux autres notions de face et de fatalité, comme « les trois lois immuables de l’univers chinois ».

Des hypothèses à valider

Ainsi, le rapport de faveur ne rend pas compte à lui seul d’une notion qu’on pressent comme plus structurelle. La complexité et l’ancienneté des comportements et des croyances relatives à la faveur, son insertion ritualisée et formalisée dans les rapports sociaux laissent entrevoir en effet un véritable système d’ensemble, dont les éléments et les interactions sont loin d’avoir été élucidés.

D’autres pistes peuvent être envisagées, quant au rapport avec des notions voisines, notamment celles de don, de gratuité, de charité ou quant aux formes d’institutionnalisation de la faveur, notamment les mécanismes de compensation et de différenciation (discrimination positive, modulations tarifaires dans les services publics). La question de la faveur peut aussi être située dans l’ordre général des politiques publiques relevant du « social », dans la répartition des « places » (postes à discrétion de…) et des fonctions (missions LOLF). Elle entre également sur le terrain du « local », à travers la multiplication, par la politique de décentralisation, des dispensateurs de faveurs.

La recherche proposée, conçue essentiellement comme interdisciplinaire, visera donc à éclaircir les points précédents, sous l’angle de la science politique et administrative, du droit privé ou public, de l’anthropologie, de la sociologie, et de la psychologie. Après une première séance d’échanges de vues, seront fixés les principes d’organisation, la périodicité des réunions, les modalités de divulgation des résultats.

Gilles J. GUGLIELMI

Professeur de droit public

CERSA
http://www.cersa/org


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