Laïcité apocryphe ? Sacrés diplômes !
Le 18 décembre 2008, la France et le Saint-Siège (en clair, le Vatican) ont signé au Quai d’Orsay un accord sur la reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur catholique.
Cette nouvelle est ainsi relatée par le site du ministère des Affaires étrangères.
« Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes a reçu, ce 18 décembre, Mgr Dominique Mamberti, secrétaire pour les Relations du Saint-Siège avec les Etats.
A cette occasion, ils ont signé un accord sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur entre la France et le Saint-Siège, dans le cadre de la Convention de Lisbonne du 11 avril 1997 et du processus de Bologne.
Cet accord a pour objet de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur catholiques et reconnus par le Saint-Siège, et de faciliter les différents cursus universitaires. »
On a bien lu : « et profanes ». La catégorisation selon laquelle il existerait des diplômes d’enseignement supérieur canoniques par opposition à d’autres n’ayant pas cette qualité est donc inscrite dans la logique de l’action exécutive et, sans doute, dans l’accord. Il convient cependant de rappeler que l’adjectif qui s’oppose à profane n’est pas « canonique », mais « sacré » quant à celui qui s’oppose à canonique, c’est « apocryphe ». Ainsi verrait-on apparaître des diplômes universitaires canoniques et sacrés et d’autres diplômes profanes et apocryphes (on les dirait presque vulgaires). Or, la loi française n’a nullement prévu une telle distinction.
On a bien remarqué : cette distinction nouvelle, qui va de pair avec une « reconnaissance » ne concerne que l’enseignement supérieur catholique, car on ne sache pas que l’Etat du Vatican ait vocation a représenter la totalité de l’enseignement supérieur privé, ni même l’intégralité de la théologie en tant que science sociale. Or, à ce titre, et au regard des lois régissant l’enseignement supérieur privé, un tel accord est contraire au principe d’égalité, qui ne différencie pas les religions assurant éventuellement cet enseignement.
Par ailleurs, il est clair que cet accord constitue une atteinte directe au monopole de la collation des grades par l’Université au nom de l’Etat.
Enfin et surtout, la plupart des commentateurs (Libre Pensée, blogs)
ont mis en évidence sa caractéristique essentielle : une telle reconnaissance s’oppose au principe de laïcité de la loi de 1905, selon lequel l’Etat ne reconnaît aucune religion, que ce soit pour l’exercice du culte ou pour celui des activités connexes (qui tendent curieusement à se multiplier comme le montrent les arrêts du Conseil d’Etat en matière fiscale).
Pour arriver à ce résultat, contestable pour le moins, la stratégie gouvernementale s’est appuyée sur les arguments suivants.
Le processus de Bologne par lequel 29 Etats européens – dont la France et le Saint-Siège – se sont engagés à établir d’ici à 2010 un espace européen de l’enseignement supérieur.
D’une part, en reconnaissant dans ce texte les diplômes étrangers, la France aurait reconnu, de fait, les diplômes délivrés par des institutions catholiques de ses partenaires européens. Il s’agit évidemment d’un sophisme, car la valeur juridique du processus de Bologne n’est pas telle qu’elle permette de s’affranchir du principe constitutionnel de laïcité, ni même, en raison de l’imprécision de nombre de ses dispositions, inapplicables en pratique, de certains principes législatifs qui doivent continuer à s’appliquer.
D’autre part, contrairement à la présentation qui en a été donnée par le cabinet, il ne découle de la reconnaissance par la République française de diplômes étrangers aucune obligation juridique de reconnaître, par analogie, tout ou partie des diplômes de même nature délivrés en France.
C’est peut-être pour cela que le journal La Croix avançait prudemment : « Reste à savoir quand cet accord sera applicable. Jeudi, le Quai d’Orsay n’était pas en mesure de préciser si une ratification par voie parlementaire était requise. Il faudrait alors compter avec les réactions laïques : aux lendemains du discours du Latran, quand le Président de la République avait évoqué cette idée de reconnaître les diplômes des universités catholiques, nombreux avaient été ceux qui dénoncèrent « la fin du service public laïque ».
Qu’on se le dise...
Gilles J. Guglielmi
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Laïcité apocryphe ? Sacrés diplômes !5 janvier 2009
Juste une remarque : que se passe-t-il quand un étudiant étranger, titulaire d’un diplôme reconnu dans son pays mais dispensé par une université catholique (il en existe de grandes et très réputées, par exemple - mais pas seulement - en Italie, en Belgique ou en Espagne) vient continuer ses études en France ? Ce n’est pas compliqué : l’université française reconnaît évidemment ce diplôme et le gars continue tranquillement ses études. Mieux : il peut même se présenter à des concours de la fonction publique (l’Union européenne, tout ça...). Fou, non ? Bref : cette reconnaissance existait déjà de fait pour les diplômes obtenus à l’étranger. Le fait de les reconnaître quand ils sont dispensés en France me semble assez logique et je ne vois vraiment pas ce qu’elle a de scandaleux, sauf à faire des instituts catholiques des lieux de perdition anti-scientifiques et dangereux, ce qui - franchement - serait du grand n’importe quoi.
Quant à la distinction canonique/profane/apocryphe, j’avoue ne pas bien comprendre où vous voulez en venir... Un simple exercice littéraire, je présume.
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Laïcité apocryphe ? Sacrés diplômes !5 janvier 2009
Voici le dernier paragraphe de la lettre ouverte adressée au Président de la République aujourd’hui même par la Conférence des présidents d’universités (CPU) qui représente toutes les universités françaises et qui est l’interlocuteur habituel et privilégié du Gouvernement pour la gestion de l’enseignement supérieur.
"Pour finir, l’accord entre la France et le Vatican sur la reconnaissance des diplômes nationaux ravive inutilement le débat sur la laïcité. Selon cet accord, les diplômes délivrés par les instituts catholiques contrôlés par le Vatican seront reconnus en France au même titre que les diplômes délivrés par les universités publiques. Non seulement cet accord porte sur les diplômes canoniques, ce qui peut se concevoir mais mériterait discussion, puisque les diplômes canoniques font partie du champ initial des instituts catholiques, mais aussi sur les formations profanes, ce qui est proprement inacceptable. Si le processus de Bologne instaure la reconnaissance européenne des diplômes européens, il n’impose nullement à chacun des Etats-membres de reconnaître automatiquement, comme équivalents aux diplômes dispensés par ses établissements nationaux, les diplômes des autres établissements européens. Or si la reconnaissance des diplômes canoniques délivrés par les institutions catholiques relève bien du processus de Bologne, notamment parce qu’elle n’entre pas en concurrence avec les diplômes nationaux, celle des diplômes profanes délivrés par les instituts catholiques s’impose tellement peu que l’Union des établissements d’enseignement supérieur catholique n’en était semble-t-il pas informée, selon La Croix du 19 décembre dernier ! Quelle nécessité d’avoir ajouté cette clause provocatrice, qui constitue un précédent inacceptable, et qui ne peut que soulever les protestations de l’ensemble de la communauté universitaire, soucieuse de défendre les valeurs laïques et républicaines ? En outre, le biais retenu pour cette démarche, à savoir un accord international piloté par le Ministère des Affaires Etrangères, est particulièrement incongru, s’agissant d’établissements avec lesquels les universités françaises entretiennent depuis longtemps, dans plusieurs régions françaises, des liens de proximité et d’actives collaborations : ce type d’accord international, en effet, conduit à rappeler que chaque institut catholique français est, de droit, une implantation universitaire étrangère qui serait, pour tout ce qui concerne le pilotage et l’accréditation des formations, une émanation directe du Vatican. Est-ce bien l’objectif visé par la démarche ?"
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Apostasie10 janvier 2009, par Augustin
La réaction de la CPU (en ligne sur son site) semble avoir provoqué un recul de la communication (ou de l’interprétation ?) de l’accord avec le Vatican.
Valérie Pécresse a en effet jugé bon de publier le communiqué suivant (recul ou rectification ?) :
"Il s’agit de faciliter la lisibilité des diplômes délivrés par des établissements catholiques en permettant la reconnaissance d’un niveau universitaire qui facilitera aux étudiants leur poursuite d’études, les universités conservant leur liberté de reconnaître ou non ce niveau de diplôme.
Les deux ministères rappellent que sont visés par cet accord les diplômes canoniques délivrés par les universités catholiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège ainsi que les diplômes ecclésiastiques directement délivrés par les facultés ecclésiastiques sous l’autorité du Saint-Siège."
On avait donc mal compris.
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