Le discours de haine

Conférence-débat du CDPC de Paris-2
lundi 30 mars 2015 par Gilles J. Guglielmi

Le CDPC (Centre de droit public comparé) de l’université Paris-2

organise sous la présidence de M. Robert Badinter

une conférence-débat sur la liberté d’expression et, notamment, les lois réprimant le « discours de haine ».

jeudi 9 avril 2015
de 14 h à 17h

au Centre Panthéon,
Salle des Conseils (Bâtiment Soufflot, 2ème étage, esc. M).

Les intervenants seront :

Sur le droit de l’Union européenne et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Charlotte Denizeau, Maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas

Sur l’Allemagne
Johannes Masing, Juge à la Cour constitutionnelle de la République fédérale d’Allemagne.

Sur le Royaume-Uni
Gavin Philippson, Professeur à l’Université de Durham (Royaume-Uni)
La présentation sera faite en anglais

Sur la France
Patrick Wachsmann, Professeur à l’Université de Strasbourg

Un point de vue personnel :

De l’intérêt de traiter des discours de haine en droit public comparé : le grand écart.

La conception des Etats-Unis et celle des pays d’Europe, particulièrement la France, en matière de liberté d’expression relèvent d’une différence d’approche fondamentale. Cette différence devient manifeste par l’usage devenu courant et massif des moyens de communication sur Internet.

La liberté d’expression aux USA est constitutionnellement protégée par le 1er amendement. Elle doit permettre tout type de débats quels que soient les idées en présence et requiert la plus grande neutralité possible de la part de l’Etat. Pour éviter le « chilling effect » (Bentham) qui dissuade les individus à s’exprimer sous la menace ou le regard de l’Etat, la Cour suprême refuse la logique de la sanction légale et protège un espace d’impunité où peuvent s’exprimer jusqu’aux discours malveillants, infâmes, odieux. Elle y pose toutefois une limite : les fighting words.

Lorsque le discours de haine demeure abstrait, il est protégé par la liberté d’expression. Lorsqu’il contient une menace précise, crédible, directe à l’égard de cibles identifiables, il constitue une conduite criminelle annonciatrice d’une action légale imminente et doit être réprimé (Brandeburg v. Ohio [395 US 444 (1969)]).

Ni une université, dans le cadre de la lutte contre les discriminations (Doe v. University of Michigan, [721 F Supp. 852 (Ed. Mich. 1989)]), ni un Etat dans le cadre de la répression d’un symbole du Klu Klux Klan (RAV v. City of St. Paul, Minnesota, [505 UC 377 (1992)]), ne peuvent attenter à la liberté d’expression.

La Cour a récemment répondu, dans une affaire où des militants homophobes avaient manifesté, lors de l’enterrement d’un soldat homosexuel, contre la tolérance de l’armée à l’homosexualité, en des termes particulièrement douloureux, violant l’intimité de la famille et provoquant une détresse émotionnelle, que « nous ne pouvons pas répondre à cette souffrance en punissant celui qui s’est exprimé... En tant que Nation nous avons choisi une voie différente, qui est de protéger la liberté d’expression, même quand elle peut blesser, sur les questions de société, pour faire en sorte que nous n’étouffions pas le débat public » (Snyder v. Phelps, [562 US (2011)].

Le système français régissant la liberté d’expression est en opposition radicale à cette conception, non pas tant en termes de principes constitutionnels – bien sûr la liberté d’expression possède un fondement constitutionnel fort – mais en termes de répression pénale et d’interprétation juridictionnelle. Les discours de haine, « à portée générale et impersonnelle » pourrait-on dire, sont incriminés et sanctionnés en France sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 modifiée. Les infractions sont énumérées par l’article 24 de la loi sur la presse : l’apologie de crime contre l’humanité ou du terrorisme (dont on a vu l’usage dans les classes primaires au lendemain des attentats de janvier 2015), ainsi que la provocation à la haine raciale, religieuse, à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. La diffamation et l’injure sont également incriminées dans ces derniers cas : la diffamation avec les mêmes peines (1 an de prison, 45 000 euros d’amende) et l’injure avec un quantum de moitié.

La répression pénale des discours de haine peut être qualifiée de spéciale car le régime général des délits de presse exclut les peines de prison et que la Cour de cassation a admis la garde à vue dans un cas de provocation à la haine raciale (Crim. n° 11-81954, 12 février 2012).

Dans l’une des affaires d’appel au boycott des produits en provenance d’Israël lancé pour protester contre la politique de cet Etat, la même juridiction a également refusé de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une QPC portant sur l’article 24 § 8 de la loi sur la presse (Crim. n° 2319, 16 avril 2013) en estimant « l’atteinte portée à la liberté d’expression par une telle incrimination apparaît nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif ».
De façon générale, la jurisprudence en la matière est codée par une pratique judiciaire séculaire en matière de délits de presse, peu accessible au commun des justiciables.

Par ailleurs, les sursauts de l’actualité et les revendications orientées par d’autres débats d’intérêt public contribuent à rendre imprécises les qualifications. Ainsi en est-il du délit de blasphème, qui existe bien, juridiquement, mais sur une partie du territoire national et dont tout le monde se saisit... en oubliant qu’il existe de façon tout à fait générale une infraction d’injure aux religions (d’usage modéré, il est vrai, cf. Crim. n° 05-115822, 14 novembre 2006).

On mesure donc la distance entre les conceptions de ce qui est protégé et de ce qui ne l’est pas ; de ce qui est indispensable au débat public et de ce qui peut en être tu.


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